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LA GRACE DE L'INUTILITE
Par Jean Cazanave
Toi mon frère, ma sœur, le ou la super actif.ve, doté.e comme il se doit d’un Haut Potentiel Intellectuel, tu n’aurais jamais cru que le dernier mot de ce titre oserait un jour entrer comme un voleur dans ton vocabulaire et encore moins, que tu pourrais l’associer à une grâce ! Et pourtant, combien de fois te surprends-tu à songer, au détour d’une défaillance vite camouflée : « Que restera-t-il de mes capacités, de mon savoir-faire ? Pour quoi, pour qui serai-je encore utile ? »
Et voilà que les ombres de tous ces anciens que tu as connus viennent te rendre visite. Tu les revois assis au coin d’une table de cuisine, équeutant de leurs doigts gourds et déformés par le travail une récolte d’haricots verts ou un tas de petits pois. Tu les entends encore maugréer : « Je ne suis plus bon à rien ! »
Tu revois encore la vieille maman « remisée » dans une maison de retraite, comptant les heures d’un après-midi qui suinte l’ennui. Elle murmure comme en s’excusant : « Je ne sers plus à rien. »
En fait, lorsque tu sens la vieillesse grignoter sournoisement tes capacités, tu as trois solutions :
- Maintenir, coûte que coûte, ta forme olympique qui excitera les jaloux ou te fera regretter amèrement d’avoir lâché tes occupations officielles ;
- Pester à n’en plus finir sur la fréquence de tes déficiences et surtout sur celles des autres ;
- Enfin, prendre acte lucidement de ta disparition des écrans et te demander si cette nouvelle situation n’est pas une opportunité offerte (une grâce !) pour te poser cette douloureuse et essentielle question : « Suis-je encore moi quand je ne peux plus jouer les indispensables ? »
Un être humain dépouillé, tombé dans l’inutilité, peut-il encore intéresser quelqu’un ? Et pourquoi pas Celui que l’on a affublé de toutes les utilités idolâtres (1). On l’appelait « L’Omnipotent ». N’est-ce pas le moment de découvrir qu’Il s’est offert à nous, dépouillé de tout, sauf de l’amour gratuit, celui qui ne sert à rien, sinon à aimer ce qui reste de nous quand nous avons renoncé à être des petits dieux. Heureux les pauvres de soi !
(1) Lire à ce sujet le décapant petit livre de Marion Muller-Collard L’Autre Dieu ; Labor et Fides.
Jean CASANAVE